Jean de TINAN
Né en 1874, Jean de Tinan a vécu une enfance triste, aristocrate et valétudinaire. Il grandit à l’écart de ses parents, élevé par sa grand-mère et sa tante entre Paris et l’abbaye de Jumièges, propriété de sa famille. Brillant élève, il se prépare à une carrière scientifique. Admis en école d’agronomie, épris de sciences exactes- il tiendra plus tard la rubrique des «sciences biologiques» dans le Mercure de France -, Tinan est davantage attiré par les lettres. Il entre en littérature par les «petites revues» symbolistes, les salons et les cafés littéraires où il se lie avec Pierre Louÿs, André Lebey, André Gide, Paul Valéry. Comme sa génération, il est sous influence, celle du premier Barrès qui, après avoir publié le Quartier latin (1888) et la trilogie du Culte du moi, a été sacré «Prince de la jeunesse». Les mots d’ordre sont alors : exaltation et analyse. «Je veux vivre intensément parce que je dois mourir jeune», confie Tinan à son Journal : il n’a que 19 ans. Son pressentiment est troublant, il mourra cinq ans plus tard d’une maladie cardiaque. Pourtant Tinan va remplir toute une vie d’écrivain, laissant des dizaines de milliers de pages, ébauchant des projets, entretenant une correspondance considérable tout en se consacrant à la quête de l’amour idéal. Son œuvre est le récit de cette recherche. Ses aventures furent nombreuses : jeunes filles en fleur adeptes du lawn-tennis, «demi-vierges» scandaleuses avec lesquelles il flirte, filles du Quartier latin avec lesquelles il s’est mis à la «colle», et demi-mondaines. Ce monde est en partie planté dans un roman, Maîtresses d’esthètes, signé Willy, mais écrit en réalité par Tinan. Il sera surtout l’amant éperdu de la femme que Louÿs aime depuis toujours, Marie, la fille de José-Maria de Heredia, qui a épousé Henri de Régnier. Amour véritable pour l’un comme pour l’autre qui les conduira au désespoir. Tinan est une figure d’amoureux romantique, un perpétuel «insatisfait», du titre d’un des romans inachevés que publie Goujon. C’est un idéaliste de l’amour qui anatomise ses sensations et ses sentiments. C’est avec Penses-tu réussir ! (1897) qu’il atteint la notoriété : «Celui qui a écrit ces pages est aussi jeune que celui qui en est le “héros”, et ils réclament tous deux le bénéfice de cette jeunesse.» Tinan s’y raconte sous le masque de Raoul de Vallonges, qui sera encore le protagoniste d’Aimienne. (Source : Libération – Jean-Didier Wagneur)